Les taux de variation annualisés : de quoi s’agit-il? Dit simplement, c’est ramener en rythme
annuel les variations d’un mois à l’autre ou d’un trimestre à l’autre des
statistiques sur l’évolution des indicateurs économiques.
Cette façon de faire donne
une idée de l’ampleur d’une variation si elle se répétait toute l’année. Le
calcul est simple : multiplier par douze la variation mensuelle ou par
quatre la trimestrielle. Toutefois, il est plutôt rare qu’une variation
mensuelle ou trimestrielle se répète en continu au cours d’une année. Annualiser
donne un ordre de grandeur complémentaire, sans plus.
Là où ça devient
problématique, c’est lorsque la variation annualisée devient la principale
donnée mise de l’avant, et, parfois même, la seule dans bien des analyses, communiqués
ou médias. Il arrive aussi que l’on néglige d’indiquer explicitement qu’il
s’agit d’une variation annualisée.
Aux États-Unis, des agences
gouvernementales qui compilent et diffusent
des statistiques officielles, se limitent à ne publier qu’en rythme annuel les
variations mensuelles ou trimestrielles. Le Bureau
of Economic Analysis en est un bon exemple, notamment lorsqu’il publie les
données trimestrielles sur le PIB réel. Ainsi, en 2015, le PIB réel des États-Unis
a crû de 2,4 %. Les variations annualisées d’un trimestre à l’autre se
présentent comme suit :
T1 : 0,6 %
T2 : 3,9 %
T3 : 2,0 %
T4 : 1,4 %.
Pour obtenir la variation
trimestrielle sans enflure artificielle, il suffit de diviser par quatre chaque
pourcentage présenté ci-dessus. Ainsi, la formidable croissance de 3,9 % au
deuxième trimestre devient une croissance, tout de même solide, de 1,0 % (0,975
% avant arrondissement). L’annualisation porte aussi à conséquence sur l’ampleur
des révisions. La croissance du quatrième trimestre a d’abord été estimée à 0,7
% en rythme annuel; elle a ensuite été révisée à 1,0 % et, le 25 mars, elle
était portée à 1,4 %. L’écart entre la première estimation et la plus récente
semble important (0,7 points de pourcentage), mais, en réalité, il est
quatre fois moindre. Annualiser les données vient exagérer, en fait quadrupler
ici, l’ampleur des révisions. C’est aussi parfois une source de confusion. En
effet, dans son article repris dans divers journaux, dont Le Soleil du 26 mars (page 38), l’Associated
Press a interprété le 1,4 % comme étant la croissance du quatrième trimestre
de l’an dernier par rapport au quatrième de 2014, plutôt que celle du quatrième
par rapport au troisième.
Au Canada et au Québec, Statistique Canada (SC) et l’Institut de la statistique du Québec (ISQ)
respectivement publient le taux de variation du PIB réel et, pour faciliter la
comparaison avec les États-Unis, ils ajoutent, en complément d’information, le
taux annualisé. C’est dans le traitement de l’information par des analystes et des
médias que la confusion s’installe ensuite. Les États-Unis ne publiant pas de
données mensuelles sur le PIB réel par industrie, SC et l’ISQ se gardent bien
d’annualiser les variations mensuelles pour cet indicateur puisqu’ils n’ont pas
à satisfaire les personnes qui veulent comparer ces résultats avec ceux de
l’économie américaine.
En septembre dernier, les
tenants de l’occurrence d’une récession au Canada, au premier semestre de 2015,
utilisaient les données trimestrielles annualisées sur le PIB réel pour donner
du mordant à leur hypothèse. Les baisses successives de l’activité économique,
estimées à 0,2 % au premier trimestre et à 0,1 % au deuxième, devenaient
respectivement 0,8 % et 0,5 % une fois quadruplées artificiellement.
L’annualisation des variations permettait de mieux appuyer leur propos et de
mieux «orienter» le lecteur ou l’auditeur non averti.
Les statistiques mensuelles de
la Société canadienne d'hypothèques et de logement sur les mises en chantier d’habitations illustrent bien les
exagérations que peut susciter leur annualisation. Le communiqué du 8 mars
dernier de cet organisme fait état de 212 594 mises en chantier en février
dernier (données désaisonnalisées et annualisées), comparativement à
165 071 en janvier, soit une différence de 47 523. Divisez par 12
pour enlever le gonflement artificiel, vous obtenez 17 716 en février et
13 756 en janvier et ainsi un écart
de 3 960 mises en chantier entre les deux mois. Déjà que les
données réelles sont, avec raison, désaisonnalisées pour faciliter les
comparaisons d’un mois à l’autre, est-ce vraiment nécessaire de les étirer au
maximum en les annualisant pour qu’elles donnent une image déformée de la
réalité?
Des économistes et des
commentateurs de l’actualité économique pratiquent parfois l’art de compliquer
les choses, et l’utilisation immodérée des variations annualisées pour des
données intra-annuelles fait partie de cet art, tout comme l’usage
d’expressions dont le sens est ambigu (à titre d’exemple, croissance négative
du PIB réel en lieu et place de baisse ou diminution de cet indicateur).
D’abord limité aux États-Unis, l’emploi sans retenue des variations annualisées
se répand de plus en plus, et il semble qu’il faille s’habituer à vivre avec ce
fléau. Toutefois, cela ne doit pas nous empêcher d’en signaler les travers et
de se souhaiter un retour éventuel à la juste évaluation de la variation de certains
indicateurs.