La «Loi fédérale sur
l’équilibre budgétaire» est entrée en vigueur le premier juillet dernier. Cette
loi précise que le budget du gouvernement ne peut afficher un déficit annuel,
sauf en cas de récession ou de situation exceptionnelle, et que tout surplus va à la
diminution de la dette. Elle suscite bien des interrogations et ce, davantage
par ce qui en est absent que par ce qui
s’y trouve advenant une récession.
Les gouvernements n’ont pas
l’habitude d'annoncer les récessions. Ils sont en général les derniers à
admettre leur occurrence, mais les premiers à voir poindre une éventuelle
reprise. Cela dit, il reste que l’on s’attend normalement à ce que les
gouvernements adoptent des mesures pour atténuer les effets des phases de
ralentissement ou de contraction de l’économie, quitte à y mettre fin
graduellement une fois que la croissance est de retour.
La nouvelle législation ne
vient pas préciser si des déficits peuvent être acceptables en
raison du coût d’éventuelles mesures
budgétaires pour stimuler l’économie. On en déduit qu'au minimum, un déficit
provenant d’une diminution des revenus du gouvernement, due à la baisse de
l’activité économique, est possible.
Ce qui peut devenir
particulièrement difficile et problématique en vertu de cette loi, c’est
d’identifier à partir de quel moment le gouvernement peut mettre en oeuvre
des mesures budgétaires pour contrer en tout ou en partie une récession. Lui
faut-il attendre que Statistique Canada ait fait état «…d’au moins deux
trimestres consécutifs de croissance négative du produit intérieur brut réel du
Canada…»*?
Comme cet organisme prend deux mois pour recueillir, compiler et publier
les statistiques pertinentes, se peut-il que ce ne soit que huit mois après le
début d’une récession qu’un déficit soit légalement acceptable? Ajoutez ensuite au moins un
trimestre pour approuver, annoncer et mettre en œuvre des mesures budgétaires
visant à stimuler l’économie, le gouvernement est ainsi facilement rendu à la
fin du quatrième trimestre depuis le début de la récession pour effectuer des
déboursés ou se priver de revenus. Ce scénario n’est valable que si les
fonctionnaires ont pu, au préalable, concevoir et développer des mesures
budgétaires appropriées aux circonstances.
Or, au Canada, il y a eu
neuf récessions entre 1950 et 2014, en excluant les périodes de ralentissement
ou de faible contraction de l’activité économique. Leur durée moyenne a été de
quatre trimestres. Quel peut être alors l’impact du déficit sur le cycle
économique s’il survient après quatre trimestres de contraction? Il risque bien
d’avoir l’effet pervers de contribuer à accentuer la phase d’expansion du cycle
plutôt que d’atténuer sa phase de contraction. Il n’aurait un effet
anticyclique que si une récession va bien au-delà de leur durée moyenne.
La législation ne vient-elle
pas ainsi limiter de façon importante la marge de manœuvre du gouvernement pour
stimuler l’économie au cours d’une récession? On peut se demander si le
gouvernement aurait pu intervenir comme il l’a fait au début de la récession de
2008-2009, récession qui n’a duré que trois trimestres au Canada, si cette loi
avait été en vigueur à ce moment-là. Elle aurait probablement fait en sorte que
la récession soit plus longue et plus sévère qu’elle ne l’a été.
Par ailleurs, la Banque du
Canada avait déjà suffisamment de signaux de ralentissement de l’économie pour
décider en janvier dernier de diminuer ses taux d’intérêt, geste qu’elle a
répété en juillet. Elle n’avait pas besoin d’attendre de connaître les statistiques
sur le PIB pour poser son diagnostic sur la situation économique. Pourquoi le
gouvernement, lui, devrait-il attendre
au moins huit mois pour agir en utilisant sa politique fiscale et ce,
uniquement dans un contexte de récession? Même une période de ralentissement ou
de stagnation prolongés ne peuvent justifier un déficit budgétaire en vertu
de la nouvelle législation. Pourtant, n'est-ce pas ce qui serait
suffisant pour éviter parfois que l’un ou l’autre se transforment en récession?
L’exigence légale
d’équilibre budgétaire, telle qu’elle se présente depuis juillet dernier,
laisse reposer davantage qu’auparavant le fardeau des mesures anticycliques sur
la politique monétaire. Or, dans un contexte de surchauffe de l’économie et
d’inflation, c'est la politique monétaire qui est mise à contribution
pour juguler l’accélération de la hausse des prix. Sans que ce soit voulu, cela
peut même entraîner une récession sévère, comme ce fut le cas notamment en
1981-1982. La politique monétaire poursuivant dans de telles conditions un objectif légitime eu égard aux
prix, comment serait-il possible d’intervenir efficacement sur le plan
budgétaire pour atténuer les effets d'une récession tenant compte du carcan additionnel de la nouvelle loi sur la
capacité d’agir du gouvernement fédéral?
En conclusion, cette
législation confirme la volonté de l’État d’atteindre l’équilibre budgétaire à
chaque année. Elle est toutefois particulièrement floue sur ce qu’il est
possible de faire et à quel moment advenant une récession. Elle a aussi l’inconvénient de venir donner
une certaine crédibilité à une définition de récession qui était réfutée par
les économistes de Statistique Canada (SC) lorsque cet organisme était
l’arbitre de la datation des cycles économiques, soit jusqu’en 2012. Cette
définition est tout autant rejetée maintenant par le Conseil sur les cycles
d’affaires de l’Institut C. D. Howe, organisation qui a pris le relais de SC à
cet égard.
*Extrait de la définition de
récession dans la loi.
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