L’évolution de l’emploi au Québec contribue
à faire réélire ou à défaire le gouvernement; elle sème aussi parfois le
doute sur son efficacité en matière économique. Elle joue sur la confiance
des consommateurs et, par conséquent, sur leur propension à consommer. Elle
suscite bien des analyses et des commentaires au moins une fois par mois, le
jour où les données sur sa situation sont publiées. Et pourtant, la
principale source de renseignements utilisée, l’Enquête sur la population
active (EPA), comporte des marges d’erreur importantes, sans que ce soit
nécessairement signalé, même si Statistique Canada (SC) publie ces marges. L’autre
source, l’Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures travaillées
(EERH), offre des statistiques sur l’emploi dont la qualité est excellente
selon SC, mais sa publication mensuelle passe sous le radar des médias et des
analystes.
Pourquoi l’EERH est-elle plus fiable que
l’EPA?
Les
données de l’EERH proviennent d’un recensement
exhaustif d’entreprises (petites, moyennes et grandes) à participation
obligatoire et n’excluant que celles de l’agriculture et des services
domestiques ainsi que les organismes religieux. Celles de l’EPA sont des estimations établies à partir d’un
échantillon de ménages, et elles sont
donc sujettes à la variabilité de cet échantillon, ce qui est source
d’erreurs. Dans ses documents d’information, Statistique Canada précise que
les résultats sur l’emploi de l’EERH ne comportent pas d’«incertitude
statistique».
Par contre, la variation mensuelle de l’emploi provenant de
l’EPA doit être interprétée, selon cet organisme, en tenant compte de
l’erreur d’échantillonnage*, une mise en garde qui est trop souvent ignorée.
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Pour appuyer ce qui précède, donnons trois exemples
bien illustrés dans le graphique qui suit où l’on retrouve le nombre de
salariés, selon l’EPA et l’EERH, de janvier 2011 à janvier 2015. Lors du
conflit de travail dans l’industrie de la construction au Québec, de la mi-juin
au premier juillet 2013, l’emploi a diminué en juin selon l’EERH, et, en
juillet, la grande majorité de cette baisse a été récupérée. Toutefois, l’EPA
indique une baisse graduelle en juin, juillet et août. Autre exemple, selon
l’EPA, le nombre d’employés a diminué au deuxième semestre de 2011 et en
janvier 2012 pour reprendre ensuite et ce, sans raison particulière sur le plan
économique pour expliquer la baisse. Ces diminutions n’ont pas été enregistrées
dans l’EERH. Troisièmement, le sommet de l’emploi est atteint en janvier 2013 selon
l’EERH, alors qu’il ne l’est qu’en novembre 2013, selon l’EPA.
La différence dans les tendances observées de l’évolution
de l’emploi entre les deux enquêtes nous amène également à penser qu’il n’y a
pas que les marges d’erreur associées à la variabilité de l’échantillon qui
viennent affecter le degré de fiabilité des données de l’EPA pour le Québec.
Par ailleurs, les résultats de l’EPA sont utilisés par le
gouvernement pour calculer la création nette d’emplois au Québec dans «Le Plan
économique du Québec» qui accompagne le Discours
sur le Budget 2015-2016. Or, en raison de l’excellente qualité de ses
données, l’EERH, et non pas l’EPA, devrait être retenue par le ministère des
Finances afin d’obtenir des résultats précis sur les emplois nets créés ou
perdus dans les entreprises privées et publiques et le secteur public.
En conclusion,
l’EERH devrait être privilégiée pour mesurer la création ou la perte
d’emplois au Québec. Quant à l’EPA, elle demeure une source utile en raison de
la grande variété de statistiques que l’on y trouve sur le marché du travail,
dont celles non disponibles ailleurs sur le chômage et les travailleurs
autonomes. Toutefois, elles ne devraient jamais être analysées ou commentées
sans référer au fait qu’elles sont obtenues à partir d’un échantillon sujet à
des marges d’erreur importantes.
*En février 2015, l’augmentation de l’emploi au Québec était estimée à 16 800 par rapport à janvier (réf. : communiqué du 13 mars dernier de SC sur l’EPA), et l’erreur-type liée à la variabilité de l’échantillon était estimée à 14 500 emplois. À un niveau de confiance de 95 %, la variation estimée de l’emploi doit être supérieure au double de l’erreur d’échantillonnage (29 000) pour indiquer une variation réelle. Il est donc impossible ici d’affirmer qu’il y a eu une hausse de l’emploi en février à un niveau de confiance de 95%. Pour une analyse plus poussée des interprétations possibles, voici le lien vers le document pertinent de SC :
http://www.statcan.gc.ca/pub/71-001-x/2015002/technote-notetech1-fra.htm
Jules Dufort, économiste
Jean-Pierre Furlong, économiste
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